C'est bien dommage. Conceptuel et minimal sont deux termes dont l'énonciation suffit très souvent à provoquer l'incompréhension chez certains, passant devant les oeuvres le regard circonspect. Le plus alcoolique et passionnant centre d'art contemporain européen, le WIELS (réhabilitation du l'ancienne usine de bierre du même nom) consacre une rétrospective au plus secret des artistes américains du XXe siècle : Felix Gonzales Torres (1957-1996), cubain dopé par la Big Apple. Deux semaines après l'avoir vue, j'en garde une forte impression.
Un art indiscernable à première vue : une tour de rangement distribuant à l'infini les mêmes feuilles imprimées, un pile de tapis en caoutchouc, des tas de bonbons et des guirlandes d'ampoules pendues... autant d'objets communs, en apparence anodins, qui par leur mise en scène énigmatique sussurent à l'oreille du visiteur des fortes émotions liée à la vie de l'artiste et à nos existences communes : premiers souvenirs, gaspillage des ressources naturelles, mort du sida... Mais au delà du simple ready-made comme nouveau constat sur la nature de l'objet et plus que de simples évocations du temps qui passe ou d'un certain activisme politique, les installations de Felix Gonzales Torres visent silencieusement à atteindre de noble ambitions, et ce sans aucun égocentrisme ni amour radicalement esthétique des formes pures. Ainsi bouleverse-t-il subtilement le visiteur en contrariant volontairement l'instabilité et la fragilité de ses oeuvres. Des oeuvres fantômes aux ombres malheureusement bien réelles : une fine paire de poumon en relief s'observe sur un papier A3 à première vue vierge, des bonbons pour la toux sont masqués sous des emballages aux couleurs électriques, un tryptique photographique représente en contre plongée un lustre prêt à s'effondrer...
Untitled (White Legal), 1989 / Untitled (Welcome), 1981 / Untitled (Porcelain light bulbs, extension cords), 1992
Untitled / Untitled (Golden), 1995
Des propositions visuelles minimales pour un effet maximal, jamais tragique, même optimiste implicitement si l'on s'en tient à l'ultime installation de l'exposition au dernier étage : Untitled (Placebo), 1991 (un énorme tapis de bonbons face à aux murs à une amusante évocation textuelle de la vie au travers de dates correspondant à des événements personnels ou historiques). Une sortie de scène vers la lumière, ici magnifiquement accentué par l'incroyable espace du WIELS grâce à ses anciennes verrières industrielles, où le sommet d'un discret et poignant parcours aux sensations plurielles. Incontournable si vous passez par Bruxelles.