24.3.10

PRIMUS TEMPUS

Denis Darzacq, Sans Titre (2009), Courtesy Galerie VU'

Le printemps est définitivement là avec son lot quasi quotidien de vernissages, événements et salons incontournables... Avant de débuter ce papier quelque peu long et fourre tout, soufflons donc un peu pour accorder deux minutes de silence au Salon Antiquité et Art Contemporain (ah bon?) du Trocadero. A savoir peut être le plus pourri des salons parisiens, extraordinairement kitsch malgré lui. On y sent (à défaut d'y voir), très, trop, souvent du faux et du rabiboché de la Régence à l'Art Déco, on y voit errer des marchands très show-off tous bronzé et ses amies accros à l'acide hyaluronique... Parlons donc plutôt d'ArtParis qui a fermé ses portes lundi. La bonne surprise du mois avec un intéressant principe de galeries-collectionneurs-et-personnalités-guests. Si l'on détournait furtivement le regard au contact de nombreux faussetées punk qui parsemaient les allées du Grand Palais (Campbell Soup à la sauce optique, Danseuse de Degas aspergée de peinture...), le parcours se révélaient plutôt réjouissant avec un stand bien rempli pour la galerie JGM, un "appartement du collectionneur" plutôt audacieux qui mixait art contemporain et meubles from Jousse Entreprise, des superbes photographies de Stefan Crasneanscki chez Ilan Engel Gallery et des structures architecturales superbement austères de Nicolas Moulin sur le stand de la galerie Chez Valentin. Beaucoup d'excellentes oeuvres françaises et surtout étrangères, la volonté d'ArtParis étant d'ouvrir ses portes aux galeries de pays qu'on a peu l'habitude de voir en France. De l'Afrique à l'Ukraine en passant par l'Indonésie, c'est la Finlande qui a retenu toute mon attention avec la galerie Forsblom et les verreries hypnotisantes de beauté d'un des plus talentueux designer de la jeune garde européenne : Harri Koskinen.


Galerie Nathalie Gaillard / Installation sur la plateforme "Ukraine"

L'assise en bambou laquée noir crée par Yrjö Kakkapuro et Fang Hai n'est pas sans rappeler la rigueur géométrique du fauteuil Rouge et bleu de Gerrit Thomas Rietveld...

Amber/Straw (2009), sublime vase imaginé par le finlandais Harri Koskinen et réalisé dans les ateliers de Murano. / Mise en scène du studio Jean de Gastines Architectes sur le stand de la galerie Brolly

Un flash verrerie pour une transition en douceur avec le PAD. Revenu des Tuileries, le constat est net : le Pavillon des Arts et du Design nous rassure d'une certaine manière quand à la place d'éclaireur que tient la capitale dans la défense d'un goût chic, érudit et éclectique en matière de collection. Le plaisir de parcourir le salon est toujours là avec cette quatorzième édition même si l'on peut toutefois regretter le panel d'expert du comité de sélection, inchangé en somme, et la perte de certaines galeries influentes comme En Attendant Les Barbares(1) L'idée formelle régissant le PAD reste la même : présenter dans une ambiance feutré et accessible, aux antipodes du white cube oppressant, un panorama des meilleurs pièces provenant de galeries européennes réputées dans le domaine du mobilier, objets d'arts, sculpture, bijoux et peintures du XXe et XXIe. L'édition 2010 est à ce titre rassurante et enthousiasmante. Deux adjectifs comparatifs qu'il convient ici d'utiliser en regard du l'ambiance tiède de Londres en Octobre dernier et avec pincettes concernant la futur version asiatique du PAD à Singapore annoncée pour Septembre. Rassurant quand au mode de fonctionnement, qui a fait ses preuves et enthousiasmant donc puisque bon nombre de galeries y présentent ces jours-ci du mobilier de designers contemporains comme Mitterand+Cramer, nouveau venu suisse qui soutient Studio Job et Atelier Van Lieshout. Plus terre à terre et moins one-off, Ymer&Malta présente Ikebana Medula un beau travail autour du vase par Benjamin Graindorge (a mi chemin entre le Honda des frères Bouroullec et les expérimentations de Mathieu Lehanneur) et Stripes, un cabinet en bois massif teinté noir de Normal Studio.

Contrepoids prédominant du salon, les grands du XXe sont superbement mis en avant notamment sur le stand de Jacques Lacoste où trônent modestement un ensemble mobilier conçu par Robert Mallet-Stevens selon les souhaits de sa nièce. Pour dénicher de belles surprises, il faut d'ailleurs pousser un peu plus son regard vers les meubles servant de support aux objets d'art. Ainsi, un fin exemplaire avec un plateau en marbre de la table basse PK61 de Poul Kjaerholm peut être trouvé chez les suédois de Modernity pour un prix très abordable. Tout est une affaire de coups de coeurs au PAD. On déambule poliment dans les allées les yeux pétillants comme on ferait son shopping dans les luxueux étages de Liberty ou Bergorf Goodman. Les photographies d'Hélène Binet(2) sur le travail de Peter Zumthor nous font de l'oeil. La galerie Jean-David Botella nous donne envie d'acheter tout Jean Després, des coupes aux bracelets de force. Même Perimeter nous surprend à aimer la récup des frères Campana... si toutefois le prix de leurs fauteuils manque de nous évanouir. On s'arrête enfin devant une superbe lampe en albâtre d'Eric Schmitt et un buffet de Patrick Naggar sur le stand Cat Berro, galerie aux milles friandises. Le petit coup de Moët attendra bien un peu! ... La fin de semaine nous offrait Chic Dessin (ex-Slick), niché dans le toujours très chaud toujours atelier Richelieu. Beaucoup de monde au vernissage là dans une mesure comparable au Grand Palais et au PAD, ce n'est pas négligeable pour du dessin. Deux artistes ont là retenu mon oeil. Végétale et subtile, les branches que dessine l'artiste allemande Angela Murr se développent à grande vitesse pour envahir le support, en 2D ou en 3D. Partageant les mêmes contrastes d'échelles en fonction du sujet, Fabien Merelle est un diablotin du quotidien qui s'inspire de sa vie, celle de sa femme, celles des autres, qu'il parsème de ses doux rêves à la sauce trash. Une petite parenthèse rafraîchissante d'ironie.

Détails de la lampe Lampyre d' Eric Schmitt et du buffet Spinoza de Patrick E. Naggar, Cat Berro / Fauteuil-confessionnal SCV II (2009) crée par Florian Borkenhagen, Galerie Ammann / Table PK61 de Poul Kjaerholm (circa 1960), Modernity

Unnamed Tree (2010), Angela Murr, Galerie Duplex / Madona (2009), Fabien Merelle, Galerie Cassinart

(1) Profitez-en pour passer rue de Grenelle à la galerie, qui célèbre ses 25 ans en toute discrétion. Vous craquerez peut-être pour le plumier d'Andrée Putman.
(2) La galerie Gabrielle Ammann présentera à l'Automne à Cologne les travaux de cette photographe sur le thème du maxi en architecture, du Zaha en cascade à la clef.

9.3.10

PLAYGROUND DE LUXE


Sous la cloche de droite, un tapis tremblant teste la probabilité de l'apparition de l'Univers en essayant d'assembler hypothétiquement un boulon et un écrou ensemble.


Constat n°1 : Fantastic Mr Fox est le plus hilarant et réussi des films d'animation depuis des lustres. Merci Wes. Constat n°2 : Gosse de peintre est la plus hilarante et réussie des expositions d'art contemporain depuis des lustres. Merci Beat... le double de Takeshi Kitano! L'acteur et réalisateur japonais est aussi animateur et peintre à ses heures. Et même si il doute de son talent sur cette branche*, Beat Takeshi reste un artiste iconoclaste super populaire au pays du soleil levant... et dans une moindre mesure sur notre vieux continent. De Violent Cop à son petit rôle dans Battle Royale, ses talents tragi-comiques incisifs, légers et violents sont une marque bien connue des cinéphiles. A la pointe d'une programmation d'art contemporain arty, précise et populaire dans son plus beau sens entamée depuis seize ans, la Fondation Cartier invite Kitano à transformer l'espace conçu par Jean Nouvel en parc d'attraction. Youpi youpla.

A peine entré que l'on remarque un petit train aérien sur lequel d'étranges figurines au regard moqueur tiennent en équilibre : ce sont des dharma, personnages cultes de l'imaginaire japonais (le nom dharma provient de Bodhidharma, le père spirituel du zen). Passé leur discrète mais forte présence, on ne sait plus où donner de la tête entre toute les installations de Beat Takeshi, autant d'expériences : On assiste entre autres à un remake de théâtre Ô-Edo, on tente de déchiffrer le pourquoi de pendaison ratée d'un prisonnier, on "dessine" des sons bizzares sur des magnets, puis on se prend des vents corses et bretons pour finalement se retrouver nez à nez avec un dinosaure géant en plastique devant une étrange machine à vapeur agrémentée... de gros pieds rouges! Un humour noir, un esprit scientifique volontairement maladroit et des utopies enfantines sous LSD qui nous enjouent à chaque instant. Le parcours fini, après des videos à se torde au sous-sol, on file s'offrir une gaufre spéciale jap' dans le jardin de la Fondation en guise de couronnement au meilleur remède anti-snob du printemps!

* Pour s'en convaincre, ou pas, il faudra jeter un coup d'oeil son dernier film Achille et la Tortue
Untitled, 2009 / Panneau annonçant d'étranges mini véhicules-animaux exposés en vitrine


Photo extraite du film Sonatine (1993), réalisé par Takeshi Kitano

5.3.10

BRIGHT STAR


C'est bien dommage. Conceptuel et minimal sont deux termes dont l'énonciation suffit très souvent à provoquer l'incompréhension chez certains, passant devant les oeuvres le regard circonspect. Le plus alcoolique et passionnant centre d'art contemporain européen, le WIELS (réhabilitation du l'ancienne usine de bierre du même nom) consacre une rétrospective au plus secret des artistes américains du XXe siècle : Felix Gonzales Torres (1957-1996), cubain dopé par la Big Apple. Deux semaines après l'avoir vue, j'en garde une forte impression.

Un art indiscernable à première vue : une tour de rangement distribuant à l'infini les mêmes feuilles imprimées, un pile de tapis en caoutchouc, des tas de bonbons et des guirlandes d'ampoules pendues... autant d'objets communs, en apparence anodins, qui par leur mise en scène énigmatique sussurent à l'oreille du visiteur des fortes émotions liée à la vie de l'artiste et à nos existences communes : premiers souvenirs, gaspillage des ressources naturelles, mort du sida... Mais au delà du simple ready-made comme nouveau constat sur la nature de l'objet et plus que de simples évocations du temps qui passe ou d'un certain activisme politique, les installations de Felix Gonzales Torres visent silencieusement à atteindre de noble ambitions, et ce sans aucun égocentrisme ni amour radicalement esthétique des formes pures. Ainsi bouleverse-t-il subtilement le visiteur en contrariant volontairement l'instabilité et la fragilité de ses oeuvres. Des oeuvres fantômes aux ombres malheureusement bien réelles : une fine paire de poumon en relief s'observe sur un papier A3 à première vue vierge, des bonbons pour la toux sont masqués sous des emballages aux couleurs électriques, un tryptique photographique représente en contre plongée un lustre prêt à s'effondrer...

Untitled (White Legal), 1989 / Untitled (Welcome), 1981 / Untitled (Porcelain light bulbs, extension cords), 1992

Untitled / Untitled (Golden), 1995

Des propositions visuelles minimales pour un effet maximal, jamais tragique, même optimiste implicitement si l'on s'en tient à l'ultime installation de l'exposition au dernier étage : Untitled (Placebo), 1991 (un énorme tapis de bonbons face à aux murs à une amusante évocation textuelle de la vie au travers de dates correspondant à des événements personnels ou historiques). Une sortie de scène vers la lumière, ici magnifiquement accentué par l'incroyable espace du WIELS grâce à ses anciennes verrières industrielles, où le sommet d'un discret et poignant parcours aux sensations plurielles. Incontournable si vous passez par Bruxelles.