21.7.09

BEYOND B.


Dans les ateliers, au fin fond des étagères, on découvre les couleurs employés depuis des lustres par Bernardaud

Les américains ont depuis longtemps fait le deuil du fameux débat "art et industrie" qui avait secoué toute l'Europe au début du XXe. Alors que dans nos contrées, les frontières entre l'art et les "arts appliqués" deviennent peu à peu poreuses, le design en premier en fait les frais. Pourquoi pas la porcelaine? Institution indissociable du savoir faire français en la matière, la maison Bernardaud a acquis depuis plus d'un siècle une notoriété certaine lorsqu'il s'agit de collaborer avec des designers de renom. Depuis la fructueuse association avec Raymond Loewy dans les années 70, Olivier Gagnère, Hervé van der Straeten, Martin Szekely, Andrea Branzi, les 5.5 Designers et plus récemment les frères Campana ont su maintenir Bernardaud au top de l'avant garde niveau arts de la table. Dans cette lignée, la Fondation d'entreprise Bernardaud invite depuis 2003 designers et artistes de renom ou en devenir à entretenir un rapport privilégié avec la porcelaine où le mot création prend tout son sens. Exempté de toute logique commerciale et favorisant l'émergence de nouveaux talents, la Fondation Bernardaud étonne à chaque expo. Après ses non moins Petits bouleversements au centre de la table au Musée des arts décoratifs, Hélène Huret, la directrice de la Fondation, a invité un petit nombre d'artistes américains à venir exposer leur créations à Limoges, berceau de Bernardaud.

Sur les anciens chariots qui partaient au four sont exposés les pièces de la collection. A droite trônent celles de Kristin McKirdy


Paradoxe : alors que la plupart vivent en France, ils sont encore peu connus chez nous tandis les grands musées américains (MoMa et Whitney) et quelques galeries européennes (Pierre Marie Giraud...) les exposent. L'occasion idéale de découvrir le travail de ces artistes. Chacun porte en lui un univers singuliers mais tous se raccordent sur la volonté de repousser les limites techniques de la porcelaine. En première ligne, Jonathan Hammer a crée main dans la main avec Bernardaud d'imposants clowns-culbutos qui incitent le visiteur à les pousser, prouvant par la même occasion la résistance exceptionnelle de la porcelaine, ici maintenue à terre par du plomb. Dans un autre registre, entre Francis Bacon et Matthew Barney, Wayne Fischer sublime ses formes anthropomorphiques en sablant et ponçant à outrance. L'expérience tactile est ici requise. On est à la fois transporté par la douceur à laquelle la porcelaine est parvenue à muer et dérouté par un sujet complexe à limite du morbide que l'artiste propose. Avec cette même ambiguité, tout en subtilité, Jeffrey Haines dualise l'expérience tactile et sensorielle entre le blanc et l'or. Ses poings américains-fouets-hochets-sex toys (au choix) amènent au rêve... On retrouve aussi les propositions abstraites et colorées de Kristin McKirdy, dont la cote est déjà bien établie sur le marché de l'art. Exposées dans les anciennes usines Bernardaud désormais reconverties en galerie, les oeuvres prennent tout leur sens. Tradition et innovation toujours pour la manufacture, rebellion arty pour la fondation. Ambiance jazzy pour contenu iconoclaste, Made in France by Americans (jusqu'au 24 octobre) est à ne pas rater (même si, je sais, c'est à Limoges...). Histoire aussi ensuite de visiter les superbes ateliers de la maison.

Like old time : ici les anciens ateliers réaménagés à l'ancienne

It's been a while since americans have mourned the "art vs industry" debate that had shaken Europe last century. Indeed, boundaries between art and "arts appliqués" (sorry) gradually became porous, and design now sits front row. What about porcelain? Bernardaud has acquired over two centuries a worldwide notoriety by collaborating with famous and up-and-coming designers. Since the 70's and the collaboration with Raymond Loewy, many designers have kept Bernardaud at the top of the edge concerning homeware design : Olivier Gagnère, Hervé van der Straeten, Martin Szekely, Andrea Branzi, 5.5 Designers, and more recently the Campanas. Since 2003, Bernardaud calls artists to maintain a privileged relationship with the brand and show their work in a new gallery space in Limoges. Hélène Huret is the director of the foundation. This year, she has invited a few american artists to exhibit their creations in Limoges, Bernardaud's cradle.

Jeffrey Haines

Wayne Fischer / Kristin McKirdy

While most of them live in France, they are still little known here although their works are shown in major american museums such as the MoMA and the Whitney in New York, and some european galleries like Pierre Marie Giraud in Brussels. If each carries a strong and unique universe, they're all connected on the willingness to push porcelain's technical limits. Exclusively for this exhibition, Jonathan Hammer has created hand in hand with Bernardaud a couple of big clowns figures proving porcelain's amazing strength. These clowns can be moved by a single push and they're maintained ashore by lead. At another level, Wayne Fischers's sublim smooth anthropomorphic forms are inspired by Francis Bacon and Matthew Barney. The sens of touch is here required. With the same ambiguity and subtlety, Jeffrey Haines have done some unusual objects between rattles, whips and sex toys. Kristin McKirdy's colorful & geometrical shapes are also featured.

While tradition and innovation continues, Bernardaud as found through his art foundation a clever and independent way to promote artists. I know this is ugly Limoges but Made in France by Americans worths the trip. Plus, workshop visits are available all summer.

À gauche, les fours de la maison demeurent interdits au public. A droite, des bras en rab pour Nazareth, la dernière création des Campana

12.7.09

NEW ORDER


Flore #2, Nicolas Le Moigne (courtesy NextLevel Galerie)

Qu'il est chouette de voir la Rive Droite bouger à ce point. Nouveau fief design, le Haut Marais accueille depuis le printemps NextLevel. Dédiée au design expérimental contemporain, la galerie NextLevel est un nouvel espace d'exposition et d'échange où chaque designer invité s'exprime en toute liberté en terme de forme, matériaux et production. La première bonne nouvelle est de voir qu'elle expose des jeunes designers talentueux dont la notoriété explose. La seconde est tout aussi attrayante : les pièces exposées (en édition limitées, numérotées et signées) sont abordables. Et à l'heure actuelle, ceci est suffisamment rare pour le signaler alors que le design accumule les records et qu'il arrive même que les réalisations de jeunes designers soit déjà propulsées aux enchères. Ils étaient suisses on s'en souvient, Nicolas Le Moigne l'est aussi. Pour l'exposition Materia chez NextLevel, celui-ci propose des combinaisons surprenantes entre divers matériaux : contreplaqué bouleau, acier, aluminium, verre et velours s'entrechoquent avec subtilité. Les formes arrondies des plateaux contrastent avec la rugosité des piétements. Suivant le principe qu'il avait initié avec Verso Diverso (série à succès produit par Viceversa), les vases Flore magnifient leur contenant. Représenté en Suisse par Ormond Editons, le designer trouve enfin un echo à son travail en France. Chapeau Isabelle...


4 questions à Isabelle Mesnil, directrice de la galerie NextLevel :

Quelle est la pertinence d'une galerie comme la vôtre aujourd'hui, par rapport aux évolutions que le design subit entre la production industrielle et ce qu'on appelle assez ingratement aujourd'hui le design-art?

NextLevel Galerie se positionne comme un lieu permettant de découvrir de jeunes talents du design d'aujourd'hui et de demain. Leurs pièces reflètent leur questionnements actuels, leur influences et bien sûr leur personnalité ou leur approche propre, comme toutes pièces d'artiste. C'est un lieu d'expérimentation où les problématiques du design industriel n'ont plus la même portée dans le processus de création. NextLevel Galerie est une parenthèse dans leur quotidien professionnel qui leur offre d'autres perspectives soutenues par la galerie tout au long de l'année. Alors si c'est ça le design-art, l'expression me convient, même si elle nous vient des salles de vente et qu'elle est en somme toute confuse.

Comment vous situez-vous par rapport aux autres galeries du 3e?

Le 3e est un formidable vivier de galeries dont la programmation en art contemporain et pour certaines en design ne cesse de surprendre - c'est le lieu de la création contemporaine à Paris, d'où mon choix pour l'installation de la galerie. NextLevel Galerie se veut comme un lieu novateur du design tant dans sa démarche que dans sa programmation.

Hier Philippe Malouin, aujourd'hui Nicolas Le Moigne puis Martin Saemmer... Des jeunes designers francophones et étrangers qui montent... La France est-elle en retard?

Nous sommes plus dans une phase de transition en France. Il faut souligner le bon travail de certaines "institutions" françaises qui apportent leur pierre à l'édifice, notamment le Musée des Arts Décoratifs, le VIA, la Cité du design et le MAM à Saint-Etienne, le FRAC Centre... J'ai confiance très prochainement dans l'avenir de la Cité de la Mode et du Design à Paris.

Quels sont vos spots favoris dans le quartier?

Il y en a beaucoup car j'y vis. Côté restaurants/bars, j'apprécie les plats savoureux et la sélection de choix des vins du Petit Curieux, le Marché des Enfants Rouges, le café Charlot et l'incontournable café du Progrès. Côté vêtements : Baron Y, Les Prairies de Paris, Christophe Lemaire, AB33, Shine. Junco et Avenches pour les bijoux, Hoses pour les chaussures.

Merci!


Narcis / Vesta #3, Nicolas Le Moigne (courtesy NextLevel Galerie)

10.7.09

WTF


Plurality, by Cecile Manz for Mooment

On ne lui demande même pas d'être fonctionnel. Donald Judd remixé, fauteuil pour trois ou pour vous et vos deux chats.... On s'en fiche, il pourra toujours servir comme escabeau. Chic et minimal, ça fait quand même beaucoup pour un escabeau.

Functionality isn't the point here. Can this be some kind of a Donald Judd re-intepretation or is it just made for two skinny cats and his master? Nevermind, this unique chair could still be used as a stool. But maybe it's just to much to ask...

5.7.09

' WAS HERE

Adulés des graffeurs, les produits Krink arborent un packaging des plus séduisants. La Fondation Cartier en expose des vintage.

L'idée fut de laisser sa marque. D'abord il y a quarante ans, quand l'homme fit son premier pas sur la lune. A l'occasion de cet anniversaire, Door Studio expose au Palais de Tokyo une impressionnante sélection de photographies inédites prises lors des missions spatiales américaines, des débuts de la NASA en 1958 à Apollo. Là bas, l'espace est perçu autrement par la photographie... les ombres se cherchent, les dimensions et l'échelle des masses s'inversent. Le speech de Vicky Goldberg lors de l'inauguration Samedi soir expliquait se phénomène et la pertinence d'un lien entre ces photographies et l'art contemporain. Aujourd'hui, avec une certaine part de rêve et pour le plaisir des yeux, on peut redécouvrir ses trésors longtemps gardés secrets.


Quand la Fondation Cartier se rebelle, elle autorise des graffeurs professionnels à tagger son mur extérieur... Nouveau chic en perspective ?

Ceux-ci ont toujours été franchement visibles mais la plupart d'entre nous les sous-estiment encore. Les graffitis. Aux confluents de l'avant-garde et toujours pile dans l'air du temps, avec une volonté pédagogique certaine mais fluide (et un soupçon de provoc cette fois-ci) la Fondation Cartier pour l'art contemporain, loin d'institutionnaliser cette forme de street art, lui donne à sa façon des lettres de noblesse : entend en proposer une vision expresse mais pointue, historique et contemporaine. Les intentions sont mitigées, mais le contenu est sufissament varié pour plaire. Bondé au vernissage, l'expo n'aura à mon avis aucun mal à déplacer les familles cet été. Des photographies seventies underground de gosses pris en flagrant délit (de création) dans les quartiers pommés de Manhattan, des blocs party déjantées de L.A. où l'on brûle en s'amusant, en passant par des bombes de peinture usagées, Keith Haring, tout y passe. Même une simple porte de salle de bain copieusement taguée... Histoire de marquer son territoire.

Light Blue Movers (1987), Jean-Michel Basquiat / Polaroïd exposé au Palais Tokyo dans le cadre de l'expo A Man on The Moon

The idea was to leave a trace. Firstly, forty years ago when man put his foot on the moon. To mark this anniversary date, Door Studio + Le Palais de Tokyo exhibit an impressive selection of photographs that have never been seen before and that were taken during some american space expeditions from 1958 to Apollo. Far away, photography gives space a unique visual... shadows in continuous extension, the immeasurable expanse inversement of time and space. Vicky Goldberg's speech at the opening explained this phenomenon and the subsequent link between this space photographs and contemporary art. Today we can contemplate these treasures kept so long a secret as if in a dream and a pure delight for the eyes.

Generally always quite visible to most of us yet unworthy of our esteem... Graffiti. La Fondation Cartier pour l'art contemporain, as always ahead of its time, yet accessible and slightly provocative this time has actually honored graffiti in a particular way. The fondation provides a clear, precise, historic and modern view of the subject. Despite the mixed diversity of it, the varied contents has a lot to offer. Full of people at the opening and bound to appeal to family visits this summer. The exhibition includes 70's photographs taken in Manhattan's dirty districts, grunge kids caught in (creative) action, wild delirious L.A. parties in video, old used paint cans, Keith Haring and lots more. Even an ordinary bathroom door covered with graffiti... the marking of one's territory.

1.7.09

SANS ORDONNANCE


Bureaux d'Astrakhan (Takumi Ota)


Du design de baguettes (oui, oui...) au design d'espace, Drill Design brille. Et pourtant ils ne sont que deux. Il y a Yusuke et son amie Yoko. Ensemble, leur talent se conjugue en toute discrétion. Déjà en 2003, ils avaient anticipé la tendance "lampe avec fil rouge apparent" (vous savez ce qu'on a ensuite retrouvé partout de Normal Studio à Habitat). Enfin peu importe, puisque le duo crée avant tout pour eux. Ce sont des gobelets inventifs et des verres à pied newlook, pratiques et résistants, que l'on aimerait bien trouver dans le commerce. Ce sont aussi des chaises, et des tabourets plus récemment, inspiré des prototypes de la série Clover, entièrement réalisés à partir de papier compressé. Passé Tokyo, cela pourrait rappeler les vases de Studio Libertiny. Dans la lignée des nouveaux maestri du XXIe que sont Morrison, Grcic et désormais Diez, les japonais de Drill évoluent à l'écart... plus pour très longtemps on l'espère. In hope we trust.

Bureaux pour Coil / Verres à pied autoproduits pour un cadeau de mariage

Suspension, serie Colorful cord products / Paper-wood stool, leur nouvelle création

From chopstick design to interior design, Drill Design shines. There are only two : Yusuke and his friend Yoko. Together, they discretely combine their talent. Back in 2003 they had foreween the "visible red cord light" trend (you know, you have seen it everywhere from Normal Studio to Habitat). Nevermind. The duo create what they want, first for themselves. It can be unusual yet clever goblet, redesigned solid wine glasses. And also, chairs and recently stools, inspired by previous models from the Clover series, entirely made of compressed paper... like Studio Liberty's flower pot. Like todays maestri from Morrison to Diez, Drill is evolving apart... hopefully not for too long.